Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
26 avril 2020 7 26 /04 /avril /2020 12:30

En fond musical "j’ai pas les mots" chanson interprétée par Grand Corps Malade… Des paroles qu’on espère ne jamais avoir à prononcer mais qui trouveront un sombre écho dans le cœur de nombreuses familles et de nombreux amis endeuillés par cette terrible pandémie.

J’ai lu et partagé le témoignage ci-dessous sur Facebook. Il m’a ému aux larmes. J’aimerais que tous les inconscients, ceux qui se croient invincibles… et les autres, aient le courage de le lire dans son intégralité !

Avant de le publier j’ai évidemment demandé l’autorisation à son auteure :

"Bonjour infirmière anonyme de la Brigade des nurses,

J’ai 66 ans, personne à risques (maladie cardio), je respecte scrupuleusement le confinement. Je suis souvent très en colère en voyant le comportement d’un tas d’inconscients. De ce fait, votre témoignage m’a profondément touchée. J’ai un blog très modeste (http://nenette33.over-blog.net/) et j’aimerais y publier votre témoignage, sans rien y ajouter si ce n’est cette demande que je vous adresse, me donnez-vous la permission de le faire ? Merci encore pour votre partage, un immense bravo pour votre courage et une infinie reconnaissance pour tout ce que vous faites, particulièrement, en cette période de pandémie, mais aussi au quotidien !".

Celle-ci n’a pas eu le temps de me répondre. Néanmoins, je ne pense pas aller à l’encontre de ses idées en le publiant, d’autant plus que mon blog n’a que très peu de lecteurs.

Mais, j’ose espérer qu’il ouvrira les yeux ne serait-ce qu’à deux ou trois lecteurs sur le vécu du personnel soignant et l’importance de respecter confinement et gestes barrière.

 

Voici ce témoignage, une journée de la vie d’une infirmière de nuit dans un service de réanimation Covid-19 :

16h : Je me réveille, après une petite journée de sommeil entrecoupée par les flashs de ce que j'ai vécu cette nuit au travail. J'ai la boule au ventre de savoir que cette nuit encore je dois retourner travailler, c'est la sixième que je fais d'affilé, sans repos. Certains me disent de me reposer, mais comment faire pour accepter de rester chez soit alors que c'est la guerre dans mon service? Ma conscience professionnelle me pousse à aller travailler, à accepter le risque d'être au front alors que je suis épuisée et que tous mes proches s'inquiètent pour moi. Car oui, une infirmière n'est pas un super héro, nous aussi nous avons des sentiments, des émotions, de la peur, nous sommes tous et toutes humains. Mais je prend une grande inspiration, et je décide de me lever pour aller aider mes patients qui sont entre la vie et la mort.

17h : Ca fait actuellement une heure que je suis sur mon téléphone. Je lis l'actualité, je vois dans les médias que les mesures demandées par le gouvernement ne sont pas respectées, que les gens continuent à sortir, sans doute qu'il se sentent supérieur à tout cela. S'ils savait... Je lis les nombreux messages reçu par ma famille, par mes amies, par des connaissances parfois perdues de vue depuis de nombreuse années. Ces messages me font chaud au cœur, ces petites attentions quotidiennes me donnent un peu de courage, tous me disent merci, certains prennent des nouvelles tous les jours voir plusieurs fois par jours, et ne s'offusquent pas quand je ne répond pas pas rapidement ou parfois juste pas du tout car je suis au boulot, certains sont juste intelligent et comprennent la situation, d'autre beaucoup moins. Tous me disent de faire attention à moi. Mais comment ? Les heures s'enchaînent, les situations compliquées se multiplient, les décès arrivent en masse, la peur me gagne mais je veux pas lâcher la bataille. C'est aussi là que je remarque que certaines personnes "proches" n'ont pas ce genre de petite attention, que certains jouent au mort depuis le début de cette bataille, ca me détruit le coeur, mais je n'ai pas le temps pour m'occuper de ça maintenant, mais ce sont des choses qui resteront gravées, autant les attentions positives et le soutient infaillibles de certains, que l'ignorance des autres. Le téléphone sonne, ma maman m'appelle, elle ne sait pas ce que je vis au travail, nous entamons une conversation lambda, puis le ton monte, je m'emporte quand j'entends qu'elle aussi ne respect pas le confinement. J'ai envie de la supplier de rester chez elle, de lui dire que j'ai peur pour elle, pour sa vie, que je n'ai pas envie que ce soit la prochaine patiente qui meurt sous mes yeux impuissants. Visiblement malgré mes explications elle ne semble pas comprendre. Je suis frustrée. Je raccroche, je pleure, je suis au front et pourtant tellement impuissante pour faire comprendre à mes proches que j'ai peur pour eux.

18h : J'ai besoin de prendre des forces, mais comment faire ? D'habitude je vais voir mes amies, après quelques petite blagues balancées devant une bière, l'énergie revient. Mais confinement oblige, je sais que cela est impossible. J'appelle mon neveu, sont ignorance me fait sourire, pour lui sa tata se bat contre le méchant virus, je peux pas pleurer, je ne peux pas le decevoir, j'ai envie de me battre pour lui, j'ai envie de le serrer dans mes bras, qu'il me donne de la force, mais confinement oblige, je sais que cela est impossible. Je raccroche, j'essaie de gérer mes émotions, un échec de plus, je pleure.

19h : Je sais que dans moins de deux heures une longue nuit de travail s'annonce, j'ai peur, un nœud se forme dans mon ventre. J'essaie d'avaler un repas pour prendre un peu de force, mais rien ne passe. Je vais me nourrir d'un troisième appel, j'ai encore besoin de réconfort. Je décide d'appeler une amie, pour la centième fois depuis le début de cette épidémie, elle me demande de prendre soin de moi, de me reposer, je sens à sa voix qu'elle a peur pour moi. Quelques larmes coulent que j'essaierai de camoufler tant bien que mal, car je ne veux pas paraître faible face à eux qui me pensent si forte.

20h : Je prend ma voiture, je roule jusqu'au CHU où je travaille, en chemin je croise plusieurs personnes entrain de courir, j'ai envie de m'arrêter et de les traiter d'inconscient. Plus loin je croise un groupe de jeune, ma colère grandis, mais je reste calme, enfin j'essaie, car intérieurement je bouillonne. J'arrive au CHU, je croise quelque collègue sur le parking, certains ont le visage fermé, d'autres exposent leurs craintes, certaines rigolent, mais je sais que tout le monde a dans un coin de sa tete ce foutu coronavirus. Dernière cigarette avant de s'enfermer pour 10 heures avec cette blouse blanche sur le dos. Je me change, j'ai l'impression de mettre une combinaison anti émotions quand je mets cette blouse, je sais que je vais devoir rester forte peu importe le prix.

21h : Je prend ma relève, ce soir je suis dans un secteur de 5 lits de réanimation. Nous sommes trois pour veiller sur nos patients. Deux infirmières et une aide soignante. Cela, c'est l'effectif "standard". On nous avait parlé d'effectif supplémentaire ? Mais où sont-ils ? A si, effectivement, je découvre que l'aide soignante avec qui je travaille est en renfort dans mon service. A la base elle travaille en pneumologie. A l'intérieur, le stress augmente en apprenant que c'est sa toute première nuit en réanimation. Dans le contexte actuel devoir former quelqu'un d'extérieur au service est une charge de travail immense. Tout ca me rajoute donc une charge de travail alors qu'on nous avait annoncé des renforts formés. Passons, les déceptions ne se comptent même plus. Je prends donc sous mon aile cette nouvelle recrue qui est présente pour 3 nuits, car la direction de l'hôpital a décidé qu'il était mieux de faire tourner les renforts (bien sûr, c'est logique, si jamais parfois on arriverais a les former un peu pour qu'ils nous aide sur le long terme, autant choisir la difficulté est changé constamment de personne pour endurcir la difficulté). Je rappelle que normalement une aide soignantes est doublée (formé) 2 semaines avant d'être lachée en réanimation, et qu'une infirmière 4 semaines. Bon... Soit. Apparament en période de crise mettre l'équipe et les patients en sécurité ce n'est pas une priorité.

22h : Après 30 minutes pour expliquer a cette aide soignante très très brièvement le fonctionnement du service, ce qu'est un patient de réa, je réalise que je suis en retard. Que je suis dans le service depuis 1h mais que je n'ai pas encore vu un seul de mes 2 patients. Je me prépare donc pour rentrer dans la chambre de Mr A. 44 ans admis en réa pour un Covid-19, il est le papa d'une petite filles de 9 ans et d'un garçon de 6ans. Il s'est marié avec sa femme l'année dernière après le décès de sa première femme d'un accident de la route qui l'a emporté elle, et sa petite fille de 6 mois. Le contexte est posé. Ce monsieur j'étais présente a son entrée. C'est lui qui m'a raconté tout ça. Il m'a même fait sourire a plusieurs reprise tellement sa joie de vivre était contagieuse. Il est arrivé sous 6 litres d'oxygène au masque, nous l'avons donc intubé rapidement pour essayer d'améliorer sont état respiratoire. Je me rappelle lui avoir tenu la main pendant que nous l'avons endormi, il me fixait, je voyais la peur dans ses yeux vert. Il ma serré très fort la main, ma supplié de pas le laisser mourir car il voulait voir grandir ses enfants, c'était ses derniers mots avant de s'endormir après mon injection de Kétamine. .

23h : Je me prépare donc a rentrer dans la chambre de Mr A avec cet habillage du tonnerre : blouse, sur blouse, tablier étanche, masque, FFP2 lunette, sur chaussures, calot de bloc, 2 paire de gant remontant jusqu'au coude. Je vous laisse imaginer l'angoisse pour les patients quand ils sont conscients et qu'ils nous voient arriver ainsi. Je rentre donc dans sa chambre. Mr A est dans un coma artificiel, sous respirateur, hemofiltré, avec toute un tas de dispositif médicaux autour de lui. Comme à mon habitude, je parle au patient, en sachant très bien que je n'aurais aucune réponse. "Bonjour Mr A. Je suis *** l'infirmière que vous avez eu a votre entrée, c'est moi qui veille sur vous cette nuit. Vous inquiétez pas tout vas bien ce passer". Je règle toutes les machines qui permettent à mon patient de rester en vie quand j'entends toquer à la vitre. Je me retourne, le médecin m'écrit sur une ardoise que nous devons mettre Mr A en décubitus ventrale (eh oui car quand on est dans la chambre d'un patienr Covid-19 on est coupé du monde, impossible de communiquer de vive voix, alors on s'écrit sur une ardoise quand nous avons la chance d'en avoir une, on hurle, on fait des mimes, enfin on essaient d'être inventif car apparament là aussi avoir un téléphone dans chaque chambre pour travailler en sécurité afin de joindre ses collègues médecins ou infirmier quand il y a un problème n'est pas une priorité. Soit). Je prépare donc Mr A. Scotch, vitamine A, enfin tout pour que cet acte se passe bien. 6 collègues habillés en cosmonaute débarquent dans ma chambre, on se croirait dans un film, mais non c'est bien la réalité. Nous finissons le retournement, par manque de temps à consacrer à mon patient, je sors car il est bientôt minuit et je n'ai toujours pas eu le temps de voir Mr B, j'ai uniquement relevé ses constantes à travers la vitre, sans être rentrée dans sa chambre.

Minuit : Le téléphone sonne, ma collègue décroche, c'était la femme de Mr A qui appelle pour avoir des nouvelles. Je suis malheureusement occupée elle s'excuse et lui demande de rappeler d'ici 30 minutes. J'étais dans la chambre de Mr B. 65 ans, retraité infirmier depuis 4 ans. Papa de 4 enfants, grand père de 3 petit enfants et l'heureux arrière grand père d'une petite puce depuis 1 mois. Soigner un collègue c'est toujours une sensation particulière, ça reste un homme que je ne connais pas, mais qui a vécu tant de situation similaire au mienne. J'imagine sa vie d'infirmier libéral pendant un court instant, puis je me ressaisi. Je sors de la chambre, je suffoque sous ce masque qui me permet de soigner mes patients, mais qui me déshydrate au plus haut point. Je prépare une quinzaine de pousse seringue, une dizaine de pochon de perfusion, je peste contre les medecins qui écrivent comme des romains, et que je peine à déchiffrer. Je fais quelques calcul de doses, quelques relevés de constante à traves la vitre de la chambre, prépare mes bilans sanguins quand je suis interrompu par ce fichu téléphone. C'était la femme de Monsieur A au téléphone, elle s'excuse de m'embêter mais elle est inquiète et aimerait avoir des nouvelles. Elle me dit qu'elle cherche à nous joindre depuis 16h sans succès, il est actuellement un peu plus de minuit. Elle n'est pas énervée, juste très inquiète. Je m'excuse à mon tour pour cette difficulté et lui explique brièvement nos difficultés. Je lui donnes quelques nouvelles de son mari, elle me pose tout un tas de question, quand vient le moment du "Dîtes moi s'il va mourir ?" ma gorge se serre, j'ai envie d'être partout sauf ici a ce moment préci. Ma réponse est fuyante "la situation est très grave Madame, les risques sont grands, mais nous ne savons pas comment les choses vont évoluer, tout ce que je peux vous dire c'est que je vous promet de tout faire pour que votre mari rentre vers vous 3." Je lui dis ca en sachant qu'un patient Covid-19 à seulement 25% de chance de s'en sortir. Mais je ne peut pas lui dire ça, j'y vais en douceur, enfin façon de parler. Madame A me demande mon âge, je lui dit que j'ai un peu plus que la vingtaine. Surprise, elle font en larme en me disant ces mots qui on raisonné un long moment dans ma tète "Vous avez la vingtaine, vous pourriez être ma fille, et c'est vous la dernière personne que mon mari va voir avant de mourir ? C'est vous aussi jeune que vous êtes qui veiller sur mon mari alors que moi sa compagne depuis 14 ans je n'ai pas le droit de le voir ? " elle avait raison. Je suis jeune, je suis encore novice, ses propos m’ont déstabilisée. Elle finit en me disant merci, en me faisait encore promettre de le sauver, en me disant qu'elle compte sur moi. Je raccroche après 25 minutes au téléphone. Ma collègue voit la tristesse dans mes yeux, elle pose sa main sur mon épaule, me regarde dans les yeux et me dit que ca va aller. Je prend une grande inspiration et retourne préparer mes médicaments en étant un peu ailleurs.

1h : Les médecins font leur visites, eux aussi son fatigués, mais ils prennent le temps de parler avec nous, de nous demander de nos nouvelles, de s'inquiéter de savoir si on tient le coup. Plusieurs de nos collègues sont touchés, hospitalisé pour les cas les plus graves, où sur le terrain pour celles qui tiennent encore debout car l'ARS estime qu'une infirmière atteinte du Covid-19 doit malgré tout venir travailler (Notre santé n'est pas une priorité, mais ca ce n'est pas une nouveauté). Quelques minutes plus tard ils nous annoncent une entrée d'un homme de 72 ans atteint du Covid-19, ma collègue s'empresse donc aller préparer la chambre. Je me prépare à nouveau pour rentrer dans la chambre de Mr B. quand je vois que Mr. A commence a ne plus aller du tout bien, sa tension s'écroule a vu d'œil, j'appelle a l'aide pour que mes collègues m'aident à m'habiller rapidement. J'ai qu'une envie, foncer dans la chambre quitte a prendre des risques pour ma santé, mais non je pense à mes proches, je dois être raisonnable. Son taux d'oxygène dégringole le temps que je finisse de m'équiper. Je rentre dans la chambre, augmente les médicaments pour sa tension, augmente ses apports en oxygène. Mes collègues se tiennent prêtes derrière la porte. Je suis stressée seule dans cette chambre avec le cœur de mon patient qui va s'en doute s'arrêter d'une seconde à l'autre, je vois les médecins arriver derrière la vitre au même moment où Mr A fait un arrêt cardiaque. Je suis un peu déboussolée, pendant 2 secondes je réfléchis par quoi commencer, habituellement nous sommes nombreux durant un arrêt cardiaque, là je sais que j'ai de longues minutes seule. Je degonfle le lit, met mon respiration à 100%, grimpe sur le lit et commence à tenter de reanimer Mr. A. Je suis concentrée, la pensée de ses enfants me traverse l'esprit mais je m'interdis d'y penser. Je lui dit de s'accrocher, enfin je crois plutôt que je lui hurle dessus en lui disant. Un médecin et une collègue infirmière arrivent à mon secours. Elle me relait au massage cardiaque, pendant que j'injecte les drogues. Aucun signe de vie pour le moment. Nous nous relayons au massage cardiaque, nous souffrons physiquement, ca fait 20 minutes que nous tentons de le reanimer a deux, mes mains sont douloureuses, mais je j'y pense pas. Dernier choc électrique, quand Mr A reprend ENFIN un rythme. Nous pouvons souffler 5 minutes. Le médecin me félicite de mon sang froid. Je crois qu'à ce moment là je ne l'écoute pas. Je suis ailleurs. Il y a un silence pesant dans la chambre. Tout le monde est un peu déboussolé, pourtant nous avons l'habitude de gérer ce genre de situations, mais le contexte perturbe tout le monde je crois. La fatigue se fait ressentir et puis la peur qu'un jour ce soit nous dans ce lit, comme si cette épidémie avait provoqué une prise de conscience chez les soignants. Le médecin et ma collègue sortent de la chambre pour aller voir d'autre patients. Je finis ce que j'ai a faire puis sort pour aller voir Mr B.

2h : J'ai envie de boire, d'aller au toilette, de manger, je suis là depuis 6 heures et je n'ai pas eu le temps pour rien de cela. Après les péripéties avec Mr B. Je ressens le besoin de me poser un instant. Mais ma collègue est débordée, alors je pars l'aider. Je croise les médecins en chemin. Ils me disent qu'ils pensent ne pas prendre l'entrée de 72 ans car un jeune de 27 ans décompense dans les étages. Je pense qu'ils lisent dans mon regard mon incompréhension. 72 ans ? Oui c'est âgée mais... On ne vas pas refusé de lui donner sa chance ? La réponse était si. Ils nous restent qu'une place, ils faut prioriser. Prioriser avec la vie d'autrui. Drôle de concept.

3h : Mr C arrivent dans mon service, je prends ce monsieur en charge, je me retrouve donc avec trois patients Covid-19 ce qui est tout simplement ingerable en réanimation. Normalement nous ne devons pas en prendre plus de deux par infirmière, ce qui est déjà énorme avec des procédures d'habillage et de déshabillage aussi lourdes. Mais par soucis de manque d'effectif je me retrouve en difficulté, une fois de plus. Merci la direction du CHU ! Ce jeune homme est angoissé de nous voir habillé ainsi. L'éternelle question du "Madame je vais mourir ?" me déstabilise toujours autant mais j'essaie d'y répondre avec calme, sincérité mais réassurance. Je discute un peu avec lui pour tenter de lui expliquer ce qu'il va se passer quand j'entends le scope sonner en alerte maximum. Je m'excuse auprès du patient, me déshabille et sort en courant. Je vois en sortant que Mr A refait un arrêt cardiaque, je m'habille le plus vite possible, j'appelle a l'aide mais personne ne vient. Mon aide soignante a disparu, ma collègue infirmière est enfermée dans une chambre. Je n'ai pas le temps de prendre le téléphone, la survie de mon patient en dépend. Je m'habille aussi rapidement que possible en voyant le tracé plat de l'ecg. Je hurle de toute mes forces, quelques secondes plus tard 4 collègues débarquent les yeux écarquillés.
Ils entendent au bruit du scope le problème. Je leur dit d'appeler le médecin et court dans la chambre. Je saute sur le lit et commence a masser Mr A. cette fois si je suis stoïque, je ne pense à rien, juste à le sauver. Je n'ai aucune notion de temps, j'ai perdu pied avec la réalité à ce moment là. Tout ce que je sais c'est que mes mains me font mal et que j'ai peur. Une fois de plus je suis seule avec un homme en arrêt cardiaque sous mes mains, et j'attends impatiemment que du renfort arrivent. Une collègue arrive enfin dans la chambre, elle modifie les paramètres respiratoires, gère les médicaments. Nous nous relayons au massage. Les médecins arrivent. Je vois à leur tête leur inquiétude. Deuxième arrêt réfractaire sans étiologie connue en moins de deux heures ça ne présage rien de bon. Nous continuons la réanimation pendant encore une trentaine de minutes. Rien n'y fait. Monsieur A rejoint sa petite fille au paradis a 3h58. Les larmes montent quand je lui ferme les yeux. Je suis seule avec lui dans cette chambre où je l'ai accueillis quelques jours plus tôt. Dans cette chambre où il m'a parlé de sa femme, de ses enfants, dans cette chambre où je lui ai dit que j'allais tout faire pour le sauver. Dans cette chambre où il m'a fait rire. Je suis là, toute seule avec ce corps. Avec cette haine contre ce coronavirus, avec ma culpabilité. J'ai envie de sortir prendre l'air, de hurler, mais je dois continuer a prendre soins de mes deux autres patients. Je n'ai même pas le temps de procéder a sa toilette mortuaire.

4h : Je retourne dans la chambre de Mr. C je rentre quand une collègue m'attrape en me disant "Hé oublie pas tes lunettes de protection" j'étais tellement ailleurs, que non nous ne sommes pas infaillible, et oui j'aurais pu commette une erreur qui m'aurais peut-être coûter une contamination. En rentrant cette fois ci bien équipée, je vois Mr C. Il me pose des questions sur mon départ précipité. Je lui explique qu'un autre patient n'allait pas très bien sans m'étendre. Il me demande s'il est mort. Je déteste ces questions. J'ai envie de pleurer, encore. Je lui ments, je lui dit que non. J'ai plus les mots, je m'en veux. Malheureusement Mr C se dégrade au niveau respiratoire, sont recourt à l'oxygène se majore. Je suis obligée de l'augmenter régulièrement. Je demande à travers la vitre à ma collègue de prévenir un médecin. Quand il arrive il me demande de le préparer pour l'intubation. Je dois donc expliquer à mon patient de 27 ans que nous allons le plonger dans le coma, lui mette un tuyaux dans la bouche, qu'une machine va respirer à sa place et qu'il a 70% de risque de mourir. Très bien. J'aime mon travail. Je prends le temps de lui expliquer, de répondre a ses question, Mr C font en larme alors que cinq minutes plus tôt il était entrain d'envoyer un snap à sa femme, et de lui dire qu'il avait une super infirmière. Les médecins rentrent, nous plongeon Mr C dans un coma artificiel, procédons a l'intubation, au technicages divers et variés. Je suis devant lui, seule, ce jeune homme qui à presque mon âge, sans antécédent se retrouve dans un coma artificiel. Branché de partout, mais sinon oui, le coronavirus c'est juste une bonne grippe. Je suis triste, énervée. Je monte une épuration extra rénal et ma collègue aide soignante n'étant pas formé pour m'aider je me débrouille toute seule avec bien des difficultés pour la brancher au patient. Je sais que j'aurais perdu un précieux temps de tout lui expliquer. Je préfère me mettre en difficulté, enfin je préfère non, par soucis de temps je prend cette décision. Ma collègue me fait signe de sortir, c'est elle à son tour qui a besoin d'aide. Je me dépêche donc de sortir. Son patient fait une hémorragie interne, il faut le pousser de toute urgence au scanner, je l'aide donc à préparer ce transport à haut risque.

5h : En sortant de la chambre j'entends le téléphone sonner, en décrochant je reconnais la voie de madame A. Ma gorge se serre, mon souffle se coupe. Je pensais que les médecins lui avait dit. Elle m'explique qu'elle a eu un message de l'hôpital lui demandant de rappeler le service rapidement. Mais qu'elle n'arrivait pas à nous joindre. Je n'ose pas envisager ce que cette femme a ressenti pendant 1 heure sans réussir à nous joindre. Je sais que les médecins sont occupés, certains au scanner et d'autres avec un patient du secteur d'à côté qui ne va pas bien du tout. Elle me demande à plusieurs reprise ce qu'il se passe, je suis coincée je ne veux pas lui dire, je ne peux pas lui passer les médecins. A ce moment là je suis comme paralysé. Ma bouche sort un "je suis sincèrement désolée madame". Madame A. hurle au téléphone me supplie de lui dire qu'il n'est pas mort. Je réitère mes propos. Je n'ai pas les mots. Je lui dit que malheureusement nous n'avons rien pu faire. La conversation dure une vingtaine de minutes où je lui explique ce qu'il s'est passé. Je parle tel un robot en essayant de mettre mes émotions de côté. C'est dur. Vraiment dur. Je raccroche quand les medecins reviennent du scanner, je leur explique que j'ai eu madame A au téléphone. On échange quelque minutes et les galères reprennent le dessus. Je commence à faire mes bilans du matin à mes patients. Mr B chute en oxygène, nous le mettons en urgence sur le ventre. Idem pour Mr C une fois que nous avons reçu les résultats de sa gazometrie.

6h : J'entends une conversation entre médecins qui expliquent que le patient de 72 ans que nous n'avons pas pris est mort sur le petit matin. Mon chef de service a la voie noué, je le connais, il est profondément humain. Je sais qu'il regrette de ne pas avoir pu lui donner sa chance. Il sait que sa décision a couter la vie à ce Monsieur. On le sait tous, on le vie tous mal. On culpabilise tous. On aimerait pouvoir faire autrement, mais par manque de matériels, de personnels formés, c'est impossible. Il me reste encore une heure à tenir, je prépare pour effectuer la toilette mortuaire de Mr avec mon aide soignante. Nous rentrons dans la chambre ensemble mais au bout de quelques minutes ma collègue tombe dans les pommes, la vue du retrait de la sonde d'intubation a été de trop. Je la sors de la chambre tant bien que mal pour lui enlever son masque en pseudo sécurité et l'accompagne en salle de pause. J'ai malheureusement pas le temps de rester avec elle, je ne peux pas laisser ma collègue infirmière toute seule dans le secteur.

6h30 : J'ai donc une collègue sur la touche, une toilettes mortuaire à faire et tout un tas de medicaments à préparer, et plus que trente minutes avant la relève. Mais le téléphone sonne, la femme de Mr C décroche. Inquiète de ne plus avoir de nouvelle de son mari. Les médecins n'ont pas eu le temps de l'appeler pour la prévenir, c'était la guerre dans le service cette nuit. Je lui explique donc la situation. Elle pleure au téléphone, je me sens une fois de plus impuissante face à la question de "Il va mourir ?" j'aimerais tellement pouvoir lui dire que non. Une fois de plus je ne peux pas.

7h : Je vois la relève arriver au moment où je raccroche. Énorme panique qui arrive, j'ai plein de chose non faites, je vais me faire juger, mes collègues vont penser que je suis mal organisée. La répartition se fait difficilement, nous sommes encore en sous effectif avec des renforts pas formés. A ce moment la je pense à certains de mes amies a qui j'en ai parlées et qui ne connaissent pas les spécificités de mon service. Ils me disent que je dois apprendre à faire confiance au renfort et pas vouloir tout gérer. J'aimerais tellement leur montrer qu'être infirmière en réanimation ca ne s'improvise pas. J'aimerais tellement leur dire que si un proche à eux se retrouve dans un lit de réanimation, ils aimeraient avoir quelqu'un de compétent en face de leurs proches. J'aimerais tellement qu'ils arrêtent de juger mon travail sans en connaître les réelles difficultés, car non une infirmière d'une unité de soins conventionnel ne sais pas gérer un patient intubé, un respirateur, une hemofiltre, un picco, une dve, et elles sont beaucoup moins confronté au urgence vital que nous ce qui implique un manque d'automatisme que nous, nous avons. Breff. Après dix minutes de conversation ils trouvent la solution la mieux, enfin la moins pire, pour limiter la casse plutôt. Pendant ce temps j'en ai profité pour préparer tous les pousses seringues pour ma collègue, ainsi que toutes les perfusions. Je les ais recommencé à deux fois car avec la fatigue, j'ai eu un doute sur ce que j'ai fais. Puis, je m'en vais donner les releves à ma collègues en essayant d'être le plus clair possible, de ne rien oublier sans pour autant la noyer sous toute les informations. Cette infirmière est la depuis 3 jours, c'est sont ses premiers jours solo (dois-je rappeller que le doublage d'une infirmière doit normalement d'être de 4 semaines?). Je dois donc tout lui expliquer pour la sécurité de mes patients. Je lui laisse mon numéro perso en lui disant de ne pas hésiter si elle a la moindre question elle peut m'appeller. Elle me pose plein de questions, elle a peur, je suis pas rassurée de lui laisser ces 2 patients en charge, mais je n'ai pas le choix, il faut que je me repose car ce soir j'attaque ma septième nuit de travail.

7h15 : Officiellement je suis censer finir mon travail.

8h : Je finis à peine ma releve, je devrais être partie depuis 45 minutes. Je sais que la matinée va être compliquée, je sais que mes collègues vont en baver. Je m'habille donc et rentre dans la chambre de Mr A pour effectuer sa toilette mortuaire. Toute seule, avec bien des difficultés, je veux lui donner le respect qu'il mérite. Il est mort depuis 4 heures, je m'en veux de ne pas avoir pu m'occuper de lui avant. Je le mets dans cette housse blanche, je la ferme sur son visage, ce visage de mari qui a épousé une femme il y a quelques mois, ce visage de papa qui a vu les premiers cris de ses enfants il y a 9 et 6 ans, ce visage d'un ami, d'un enfant, d'un collègue... J'ai le cœur lourd. Je sors de la chambre

9h : Mes collègues se demande le temps d'une seconde ce que je fais encore là, et me disent d'aller me coucher. Je ne me fais pas prier. Je suis exténuée. Ca fait 13 heures que je n'ai pas bu, que je n'ai pas mangé, que je ne me suis pas assise, que je n'ai même pas eu le temps d'aller au toilette. Je sors de mon service, enleve ENFIN ce masque que je ne supporte plus, descend 1 litre d'eau, mange un gâteau (merci l'hôpital public) en salle de pause. Je vois des collègues de nuit faire un debrif. Je m'assois un instant vers eux. A ce que j'entends nous avons toutes et tous eu une nuit horrible. C'est le cas aussi hors période de coronavirus, mais la le contexte et la fatigue nous font vivres les choses différemment. On essaie de rire, de se changer les idées mais ce matin tout cela a un goût amère. Nous décidons de rentrer chez nous nous reposer, nous devons retravailler ce soir et donc être en forme.

10h : J'arrive au vestiaire, enleve cette armure blanche, et redeviens une civile lambda. J'ai les yeux rouge, des cernes, les mains et les pieds en compote. Je regagne ma voiture. En allant chez moi je croise encore des gens dans les rues, j'ai envie d'exploser, de les insulter, de leur crier toute ma haine. Mais je n'ai plus la force, je pense qu'à dormir. En arrivant chez moi je prends mon téléphone pour la première fois depuis 20h. Je vois sur snap des amies qui on fait une soirée hier soir, je vois sur Facebook un post de ma cousine qui continu a travailler dans un job non essentiel, je vois des personnes pester sur le confinement, je vois tous les témoignages d'infirmière à bout de souffle. Ma haine est immense. Je parle avec quelques amies, je leur dis que je vais mal, que je vie de plus en plus mal cette situation, que j'ai peur, mais personne ne comprend vraiment, pour raison que je ne peux pas tout leur expliquer. Et puis même, on ne peut pas ressentir l'intensité des émotions de ces situations sans les avoir vécu. J'aurais besoin de les voirs, qu'ils me rassurent, qu'ils me prennent dans leur bras et qu'ils me dise que ça va aller, qu'ils me donnent du courage. Mais confinement oblige, c'est impossible. Alors je prend sur moi et je vais essayer d'être forte, une fois de plus.

12h : Je finis d'écrire ce texte, j'ai les larmes aux yeux. J'espère intérieurement que cette vague explication de notre quotidien d'infirmier en réanimation confronté en première ligne au Covid-19 ferra réfléchir les gens qui ne comprennent pas le sens du confinement, que mes proches comprendront que j'ai besoin d'être soutenue, car nous vivons quelques choses d'horrible en ce moment à l'hôpital. Nous avons besoin de vous tous qui devez respecter le confinement pour nous aider. Si nous en tant que soignant prenons sur nous, acceptons d'avoir le moral en berne car nous ne pouvons pas voir nos proches alors que nous avons vraiment besoin d'être soutenu avec ce que nous traversons, vous pouvez vous aussi tous le faire. Nous avons besoin de vous. Sans vous nous ne pourrons rien faire. S'il-vous-plaît, aider nous, respecter les mesures barrière, respecter le confinement si vous ne voulez pas finir dans un lit de réanimation avec une infirmière qui sera obligé d'annoncer à votre conjoint, à vos enfants, à vos parents que vous êtes entre la vie et la mort.
Une infirmière anonyme

Voilà ! Sans commentaire de ma part mais je vous en prie, vous qui avez pris le temps de lire ce témoignage, cliquez sur "commenter cet article"… Merci, pour tous ces "héros du quotidien" comme ils sont si justement appelés par les médias !

Prenez soin de vous et si vous le pouvez, restez encore confinés, du moins jusqu'au 11 Mai...

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : DMLA débutante de nenette33
  • : DMLA débutante... ma vie quotidienne avec la progression de la maladie, les traitements et leurs résultats. Mais j'ai aussi une vie dans laquelle je fais tout pour oublier mes problèmes de santé... et ça ce n'est pas triste ! Dès l'apparition des premiers symptômes, le diagnostic est tombé très rapidement. Début du traitement sous quinzaine : 3 injections de Lucentis à un mois d'intervalle ! Stabilisée depuis 2009...
  • Contact

Ça C'est Moi !

  • nenette33
  • Femme de 56 ans *, une nouvelle épreuve se profile à l'horizon. La partager devrait m'aider et je l'espère aider tous ceux qui sont confrontés à la même chose !
* à l'ouverture du blog... en 2009, calculez !
  • Femme de 56 ans *, une nouvelle épreuve se profile à l'horizon. La partager devrait m'aider et je l'espère aider tous ceux qui sont confrontés à la même chose ! * à l'ouverture du blog... en 2009, calculez !

Rechercher

@ personnel

mail vert.gif (3662 octets)

Visiteurs et pays d'origine